Escapade

Le doux succès d’un oignon qui ne fait pas pleurer

Article et photographie par JULIEN CLAUDEL

Tiens, un agriculteur qui gagne à peu près sa vie. Oui, un de ces rares paysans qui parvient à s’échapper de la catégorie du revenu moyen si précaire d’une profession souvent sacrifiée.
Un jeune homme presque sans stress, donc, du moins qui n’entend pas subir les incertitudes du lendemain.

De là à dire que Jérôme Daumet est riche, il y a un pas, voire un fossé. Car la culture de l’oignon doux, produit de niche et d’excellence qui sourit depuis un peu plus de deux décennies aux Cévennes et permet à une centaine de familles de rester au pays, reste d’abord un labeur.
Dans le Gaec du Gaillou qu’il a monté en 2013 avec son bel-oncle Jérôme Fesquet, 110 tonnes de raïolettes sortent chaque année de terrasses étriquées, rebelles et disséminées un peu partout le long de la vallée de l’Hérault, non loin de Valleraugue et sur la route du sommet de l’Aigoual.
Remonter des mètres et des mètres de murs de pierre sèche, le jeune homme connaît bien. Ancien maçon né en pays lunellois, il est revenu sur la terre de ses prédécesseurs à la faveur de l’amour et de « la recherche de sens, du partage et des solidarités collectives ».
Il ajoute : « Mes grands-parents ont dû quitter autrefois les Cévennes pour aller travailler la vigne dans la plaine, aujourd’hui c’est moi qui reviens aux sources ! »

C’est dans l’entrepôt du Gaec, à Notre-Damede-la-Rouvière, qu’on retrouve Jérôme, armé d’un petit canif, occupé sous un ciel gris automnal à lever à la main les premières peaux de chacun de ses oignons.
C’est bien cela : un par un, avec l’aide marginale d’une machine à brosses qui effeuille grossièrement avant lui.
« Un bon pro, bien exercé, est capable d’apprêter 55 à 60 kilos d’oignons par heure », dit le paysan. C’est dire si l’oignon doux se mérite, arraché à la courbure du dos et à cette terre de refuge cévenole qui n’a jamais rien cédé facilement à ses courtisans.
La grande majorité de la production AOC oignons doux des Cévennes, moins de 3 000 tonnes en tout cultivées sur une cinquantaine d’hectares, est commercialisée par la coopérative «Origine Cévennes » à Saint-André-de-Majencoules, quelques encablures en aval.
C’est cette structure qui a signé la renaissance de la culture de l’oignon, connue depuis le
XVe siècle mais restée longtemps familiale et empirique.
« L’approche collective me plaît beaucoup, confie Jérôme. Valoriser cette culture demande du partage, de l’énergie, de la volonté, et sans un effort de construction collectif, on n’en serait jamais arrivés là. »

“Un bon pro, bien exercé, est capable d’apprêter 55 à 60 kilos d’oignons par heure”

Travailler ensemble, c’est aussi développer et anticiper l’avenir. Parmi les défis à relever, il y a celui de développer une meilleure entente entre la culture et la nature.
Le Parc national des Cévennes est très soucieux de la préservation des sols et de la qualité de l’eau, or le légume-condiment nacré n’a pas toujours été le meilleur avocat de l’environnement.
Il est gourmand en intrants, reçoit divers traitements et demande beaucoup d’eau. Des essais de cultures bio ont été menés, toujours en cours, mais en attendant les résultats, Jérôme Daumet, paysan attentif à l’air du temps et sensible aux attentes sociales, en est convaincu :
« On est obligés de se réveiller, sinon demain, on sera au pied du mur. Le spectre des molécules chimiques homologuées se resserre comme un étau et, que cela plaise ou non, il nous faut imaginer les conditions d’une culture plus résiliente. »
Une piste est envisagée, actuellement discutée par la profession : parvenir à mettre en place un désherbage sans recourir à l’épandage de produits. La technique du faux semis, le paillage ou encore le désherbage thermique se fraient un petit chemin dans les esprits.
« Mais pour cela, il faudra sans doute faire évoluer le cahier des charges car actuellement, sans aucune mécanisation, on aura du mal à faire bouger les choses. »
La balle sera bientôt dans le camp de l’INAO (Institut national de l’origine et de la qualité), qui
a décerné à l’oignon doux des Cévennes son AOC en 2003, suivie d’une AOP (certification européenne) méritée en 2008. •

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