Escapade

Uzès, l’autre pays de l’Or noir

par Thierry Allard | Photographie Lionel Moulet

Dans la cité ducale, le patrimoine se cultive aussi sous terre. S’il arrive aux archéologues de tomber sur une mosaïque romaine, ils ont plus de chance, au pied des chênes, de déterrer une tuber melanosporum, la reine des truffes dont l’Uzège est le royaume.

Les pavés des ruelles et de la place aux Herbes, cœur battant de la ville, ont longtemps gardé pour eux ce secret. Il fut une époque encore pas si lointaine où l’effluve parfumé d’une truffe fraichement déterrée n’était pas placée sous le nez de tous. Son marché se faisait à l’abri des regards, « au cul du camion » comme on dit, entre professionnels soucieux de conserver pour eux le mystère de leur transaction dont ils se plaisaient à cultiver une forme de clandestinité.

Depuis quelques années, les temps ont changé, et c’est heureux ! Désormais, la truffe a non seulement droit de cité, mais elle s’affiche au grand jour aux entrées de ville comme dans tous les documents touristiques. La naguère discrète tuber melanosporum prend toute la lumière. Elle n’en n’a plus peur. Les responsables de ce changement sont Michel Tournayre et Louis Teulle. Les deux Uzétiens ont, par leurs fonctions dans les syndicats départementaux, nationaux et européens des trufficulteurs, contribué à créer une filière et à installer Uzès comme capitale régionale de la truffe.

Ce travail est de longue haleine car il faut souvent commencer par expliquer au consommateur que le principal bassin de production de “la truffe noire du Périgord” ne se trouve pas dans le sud-ouest, mais à son exact opposé, dans la Vallée du Rhône et plus précisément dans le triangle Richerenches (enclave des papes – Vaucluse) – Uzès – Carpentras. Soucieux de connaître et transmettre, Michel Tournayre a, voilà quelques années créé les Truffières d’Uzès, au nord de la ville. Il fait partie des rares professionnels à accepter d’ouvrir son domaine aux profanes. « Je suis né dedans, je suis la troisième génération », présente-t-il. « Aujourd’hui encore la truffe est une activité annexe, et contrairement à ce que l’on peut croire, très peu de gens en vivent. »

“ On ne sait jamais quel résultat on va avoir ”

Dans ses vingt hectares de truffières dont seuls quatre ou cinq sont en production, les paisibles longues rangées de chênes et noisetiers et tilleuls ne sont jamais aussi fréquentées que lorsque les feuilles sont tombées. Dès l’aube de la saison, les premières truffes commencent timidement à se développer sous une terre qu’elles vont jusqu’à fendre, avant de se trouver râpées sur les assiettes de La Table d’Uzès du chef Christophe Ducros* et de Julien Lavandet “Chez Julien” au Domaine de Privadière à Garrigues-Sainte-Eulalie.

Si la truffe se sent bien ici, c’est que l’Uzège bénéficie d’un « terroir géologique excellent avec un terrain calcaire favorable », pose Louis Teulle. « Au nord d’Uzès, le terrain qu’on appelle aussi bande de Jol est incroyablement propice à son développement », renchérit Michel Tournayre. C’est ainsi que la cité ducale est devenue truffière dès le XIXe siècle. A l’époque, elle va jusqu’à abriter l’une des plus importantes conserveries de France. Bien que d’autres places fortes se sont entre temps développées, Uzès reste à la pointe. La cité ducale est en France un des trois Sites Remarquables du Goût lié à la truffe noire. Son marché aux truffes est également devenu le plus important de l’Hexagone en volume à destination des particuliers. À l’arrivée de l’hiver, l’installation de « la Cabane à truffes » sur les marchés du mercredi et du samedi donne le coup d’envoi de la saison. Ils sont suivis par les marchés du dimanche en janvier… le meilleur mois pour consommer le plus mystérieux des champignons. Lors de ces journées, les organisateurs veillent à la qualité. Le marché d’Uzès ne tolère pas l’à-peu-près sur les critères de provenance et de fraicheur. Il vise l’excellence et la mise en valeur de la production locale du diamant noir. Les truffes, comme leurs producteurs, y sont triés sur le volet.

En janvier, la place aux Herbes devient place aux truffes et, au moins au début du marché, les paniers des producteurs débordent de « melano » fraîches. Elles s’échangent à plusieurs centaines d’euros le kilo. Si le prix peut en effrayer plus d’un, il est bon de rappeler que quelques grammes de truffe (20 euros au plus) suffisent pour enchanter les papilles d’une bonne tablée curieuse des effluves subtiles et complexes émanant du magique tubercule. Cette concentration d’arômes est une des multiples facettes du mystère de la truffe. « On a fait beaucoup de progrès pour la comprendre mais dans les faits on ne sait jamais quel résultat on va obtenir », convient Michel Tournayre dans un sourire.

Ce que l’on sait en revanche, c’est que la tuber melanosporum est un champignon d’hiver que l’on peut “caver” à partir de la mi-décembre. « La truffe est un produit frais et de saison », martèle Michel Tournayre qui se bat, comme Louis Teulle, contre les arômes chimiques qui inondent le marché notamment en passant par des magasins spécialisés qui poussent, jusqu’à Uzès, comme des champignons…

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