Histoire de Cuisine

“La cuisine, comme l’amour, c’est ce qu’il reste des voyages”

Propos recueillis par Agathe Beaudouin | Photographie Adeline Justamon

TONY GATLIF

Baptisé « compagnon de route » du Festival de Cinéma Itinérances d’Alès depuis 25 ans, et président de la 40e édition fin mars 2022, le réalisateur Tony Gatlif a rencontré Gard aux Chefs à la table du Riche, une étoile verte au Michelin où le chef Sébastien Rath et son épouse Gwladys transforment les produits gardois pour un menu baptisé Initiation.

Gard aux chefs : Tony Gatlif, quand on vous dit « cuisine », à quoi pensez-vous spontanément ?

Je pars en voyage. Pour moi, la cuisine, c’est avant tout un dépaysement. Comme la musique et l’amour, ce sont les souvenirs qu’il nous reste des voyages. Je me souviens encore d’un plat merveilleux que j’ai mangé assis par terre, dans un parc au Vietnam à Ho Chi Minh Ville. Des nems cuits au charbon dans un parc. C’était pour le tournage de Transylvania. Je n’ai jamais rien mangé d’aussi bon… C’est comme les insectes frits que j’ai découverts en Amérique du Sud et qui ont ce goût de cacahuètes, ou bien encore cette délicieuse papaye verte mangée chez l’habitant à Cuba. Inoubliables.

Êtes-vous plutôt grand gueuleton ou appétit de moineau ?

Ce qu’on connaît de la France, depuis l’étranger, c’est le cassoulet, c’est gargantuesque ! Ce n’est pas trop mon truc. Je déteste les grands gueuletons. Je n’aime pas comment je me sens après ces grands repas. D’ailleurs, quand j’écris, j’oublie de manger. Je fais des jeûnes intermittents. Il parait que c’est bon pour la santé (Rires). J’aime le savoir populaire de la cuisine, les plats qui ne coûtent pas cher. Une pomme de terre à la paysanne, c’est tout simplement magnifique. En même temps, je sais que la cuisine est quelque chose qui fédère. Par exemple, j’ai fait le casting de la musique pour mon dernier film dans un restaurant, Chez Bob, en plein milieu de la Camargue.

“J'aime le savoir populaire de la cuisine.”

Vous aviez organisé un repas pour sélectionner les musiciens ?

Oui exactement, avec des tellines et du taureau de Camargue dans l’assiette ! Nous étions tous assis autour de la grande table, dans un décor merveilleux. J’adore cet endroit. Chez Bob, ce n’est vraiment pas un restaurant ordinaire. Les musiciens passaient chacun leur tour. Cela a créé une ambiance festive incroyable. Je n’aurais sans doute pas fait les mêmes choix si j’avais été dans un studio.

La musique, dans la culture Gitane, tient une place incontournable. Est-ce le cas pour la cuisine ?

Chez les Gitans, on fait la musique de l’instinct et on la partage. C’est pareil pour la cuisine qui joue un rôle essentiel. Elle est simple et populaire, mais elle est
GÉ-NÉ-REU-SE. J’aime les mongetes, ces gros haricots blancs ou encore ce plat à base de tomates agrémentées d’anchois sur chaque bord. C’est trois fois rien mais c’est un régal d’apéritif.

Vous n’aimez pas les gueuletons mais vous aimez manger !

J’aime la cuisine poétique, celle de l’amitié et de la fête, la cuisine de l’amour. Pour ce film en Camargue, la cuisine a été omniprésente. À la fin de la journée, on se retrouvait toujours autour du chaudron, on mélangeait du riz et des légumes et on mangeait tous ensemble. C’était la cuisine comme à la maison.

L’amour revient souvent dans vos paroles. Établissez-vous un lien avec la cuisine ?

Embrasser, c’est quelque chose de très poétique, cuisiner aussi. L’amour chez les Gitans et Gitanes, ce n’est pas la même chose. C’est différent. Cela me fait penser au tournage du film Exil avec Romain Duris. On lui avait dit : « Surtout, pas d’histoire avec une femme Gitane ». Évidemment, Romain ne nous a pas écoutés et il a découvert cette façon qu’ont les Gitanes d’embrasser, en mordillant le bout de la langue. C’est quelque chose d’à part. Notre façon de cuisiner aussi est à part.

Sébastien Rath présente une assiette à base de maquereau du Grau du Roi, pommes de terre, artichaut & cresson de la famille Coste. « Pour rester dans le thème, je vous propose d’embrasser la Méditerranée », dit-il. Éclats de rire autour de la table.

Depuis le mois de février, l’actualité nous ramène à des images de populations en exil. Vous qui avez connu la guerre. Que représente la faim quand on subit l’exil ?

Je suis un enfant de pauvres. J’ai connu la misère. Ma mère était malheureuse quand elle nous faisait à manger. Nous étions 6 ou 7 à table. Je lui demandais : « Pourquoi tu es triste » et elle me répondait les larmes aux yeux : « Il n’y a plus rien à manger. » J’étais le plus malin de ma fratrie et je lui ai un jour répondu : « Je vais partir à Paris et je vais gagner beaucoup d’argent, tu ne seras plus triste. » Ma mère est restée en Algérie. Mais je l’ai soignée jusqu’à sa mort. »

 

Bonus :

Mercredi 30 mars, Le Riche a spécialement ouvert ses portes pour la venue de Tony Gatlif. L’occasion pour le chef alésien Sébastien Rath de présenter un condensé de sa cuisine dans ce menu Initiation :
Jambon Cru de Baron des Cévennes- Caillettes aux Herbes Blettes de la Famille Coste/ Bonbon du Boucher, fromage de tête de Baron des Cévennes – Crackers aux échalotes.
Maquereau du Grau du Roi, Pomme de terre, Artichaut & Cresson de la Famille Coste.
Pigeonneaux des Costières de Nîmes, Panais & oignons doux des Cévennes
Déclinaison du butternut autour de la clémentine et de la noisette

Partager